Introduction
La célébrité est très souvent éphémère et les
tiroirs de l’histoire regorgent de ces personnages inscrits aux
abonnés absents pour avoir voulu défier le quotidien. J’ai
toujours pensé que l’historien se devait à un devoir de mémoire
vis à vis de ces hommes qui, pour avoir flirté avec l’actualité,
se sont installés dans l’imaginaire des gens pour leur offrir
parfois l’image d’un modèle auquel ils auraient peut-être voulu
s’identifier.
Paul Boyton, ce nom évoque-t-il
quelque chose dans votre mémoire ? Certes non ! Les plus
érudits se souviendront peut-être qu’en 1875, il a été le
premier homme à traverser la Manche. Mais le constat n’ira sans
doute guère plus loin.
Et
pourtant, en cette année 1877, Paul Boyton, « Capt »
comme l’appelle ses amis, est l’homme le plus célèbre de la
planète. Il n’ait pas un journal, une revue qui n’ait publié
ses exploits ou ses gravures. La mode est à la « boytonmania »,
bagues à cigares, calendriers, prospectus, chansons, tout est
prétexte à coller une effigie qui fait vibrer les foules.
« Business is
business », Boyton fait vendre. « L’uomo
pesce », l’homme poisson ainsi surnommé par les Italiens
alors qu’il vient de descendre le Pô jusqu’à l’Adriatique,
collectionne les exploits nautiques. Revêtu de sa célèbre
combinaison « Merriman », en caoutchouc noir, il vient de
traverser par deux fois la Manche, et sa tournée européenne avec la
descente de tous les grands fleuves, déchaîne la passion de foules
enthousiastes. Pour faire bonne mesure, il ajoute à son palmarès le
détroit de Gibraltar et de Messine. Partout il est reçu avec les
honneurs dû aux grands, les cours Européennes se l’arrachent pour
des exhibitions particulières. Paul Boyton infatigable, nage et
nagera encore longtemps. Sa devise, qu’il fait graver sur une
montre en or offerte par la reine Victoria : « While
I swim I live » caractérise parfaitement cet homme qui aura
très certainement passé plus de temps dans l’eau que sur terre.
L’Europe a ses limites, il retourne aux USA et s’attaque aux
grands fleuves américains tels le Mississipi, le Missouri, l’Ohio
et bien d’autres encore. C’est alors l’époque des défis, dont
le plus mémorable sera celui qui l’opposera au capitaine Webb qui
un mois après lui a traversé la Manche à la nage, mais…sans
combinaison.
Voilà pour une
présentation sommaire et presque banale qui pourrait s’arrêter
là, mais l’image du « Capt’ Boyton » serait
parfaitement tronquée pour cet homme qui a tout fait ou presque dans
sa vie. Pêcheur de perles ou de coraux, chasseur de trésor dans le
golfe du Mexique, représentant en pacotille avec son père chez les
Indiens, chercheur de diamant en Afrique du Sud, Sauveteur dans la
station balnéaire à la mode de Cape-May dans le New Jersey,
trafiquant d’armes aux côtés des révolutionnaires Mexicains,
Franc-tireur engagé volontaire au Havre en 1870 pour combattre les
Prussiens, capitaine dans l’armée du Chili dans une unité de
torpilles. Arrêté par les péruviens, on va le fusiller, il
s’échappe. Assagit ? Voire ! La promotion de sa
combinaison « Boyton alias Merriman » n’a pas le
succès escompté aux USA où la presse la qualifie d’appareil
suicidaire », il se reconvertit dans le spectacle de jeux
nautiques avec son « Water Circus » et se produit dans
tous les USA puis en Grande Bretagne à la célèbre « Earl
court » en 1893. Pas question de s’arrêter en si bon chemin,
sauf peut être à Chicago où il fonde le premier parc d’attraction
public avec son fameux « Water Chutes » qui fait la joie
des visiteurs de l’exposition universelle de cette même année. En
1895, il s’attaque à New-York, c’est « Luna Park »
qu’il installe dans Coney Island. Ce précurseur de Disneyland a de
quoi donner le vertige.
1924, il
contracte une mauvaise grippe qui va dégénérer en pneumonie, à
son retour d’Afrique du Sud où demeure la famille de son frère
Michaël. Vaincu par la maladie, il s’éteint bien sagement dans
son lit au 2649 East street Sheepshead
Bay à Brooklyn le 18
avril de la même année.
Il faudrait un gros
volume pour cerner ce personnage hors du commun, j’évoquerai
simplement dans ces quelques lignes, sa venue en Europe, pour vous
faire découvrir ses traversées de la Manche, mais surtout sa
descente de la Loire, de Tours à Nantes et sa rencontre avec Jules
Verne que le célèbre auteur immortalisera dans les « Tribulations
d’un Chinois en Chine » où il consacre un chapitre entier
aux appareils du capitaine Boyton.
Paul Boyton, une
origine Irlandaise.
Vouloir évoquer l’histoire de Paul Boyton n’est
pas chose aisée tant les écrits sont contradictoires. Dans les
journaux de l’époque qui l’interviewent, le célèbre nageur
déclare par exemple à « l’Irish Times » qu’il est
né à Philadelphie en 1848 ; à Pittsburgh au journaliste du
« Phare de la Loire » ! Lui-même dans sa biographie
n’est pas plus précis. Il se borne à raconter son enfance, une
enfance qui commence selon lui en juillet 1858, dans le quartier
d’Alleghany à Pittsburgh. Les dictionnaires encyclopédiques ou
biographiques sont tout aussi hésitant. Le « Twentieth
century Biographical Dictionnary of Notable Americans” propose
Dublin comme ville de naissance avec comme date de naissance le 29
juin 1848.
J’ai rapidement privilégié cette piste
Irlandaise en abandonnant très vite toute hypothèse d’une
naissance aux USA, bien que le recensement Américain de 1900 le
fasse naître en Pennsylvanie.
Un peu aidé par la chance, au terme de plusieurs
années de recherche, et grâce à la puissance de l’outil Internet
et aux groupes de discussions qui y pullulent, j’ai contacté une
lointaine parente, qui revenait d’Afrique du Sud. Ses
renseignements sur Paul Boyton se limitaient à ceux donnés par les
biographies officielles, j’ai pu cependant, à partir de papiers de
famille qu’elle m’a communiqués concernant son arrière
grand-père Michael Boyton, frère de Paul, retrouver les alliances
postérieures à 1884. Les maillons antérieurs faisant toujours
défaut, c’est en écrivant à Margrit Sheridan, secrétaire de
paroisse à Kildare en Irlande que j’ai pu reconstituer l’arbre
généalogique de la famille Boyton à partir des actes de baptêmes
et de mariages (voir dans les documents annexes). Paul, alias Peter (prénom qui disparaît dès 1874
pour être évoqué cependant le 23/04/1876 dans le NY Times) est le
troisième d’une famille de huit enfants, fruits du mariage de
Terence Boyton et de Margret-Maria Behan. Tous sont nés à
Ratthangan dans le comté de Kildare, à quelques kilomètres de la
ville du même nom.
Catholiques pratiquant, leur immigration vers les
USA s’inscrit dans la grande exode Irlandaise du milieu du XIXe
siècle. Malgré tous mes efforts, je n’ai pu retrouver le port
d’embarquement qui devait conduire la famille Boyton aux USA en
1859.
On peut noter que cette date que nous proposons
contredit celle évoquée par Paul Boyton lui-même dans sa
biographie où il place ses premières aventures de gamin en juillet
1858. Or à cette date, les Boyton sont toujours en Irlande puisque
sa soeur Gertrude est baptisée le 7 novembre 1858 à Ratthangan. Il
faut sans doute lire « juillet 1859 » dans ce passage
évoqué par Paul. Les Boyton vivent dans le quartier d’Alleghany à
Pittsburgh, état de Pennsylvanie. Terence, le père de Paul est
représentant en pacotille importée d’Orient qu’il troque avec
les Indiens. En 1860, il dépose une demande de naturalisation pour
obtenir la nationalité Américaine. Cette démarche est attestée de
façon très officielle quelques années plus tard en 1881 dans les
colonnes de « l’Irish Times de New York », date à
laquelle Michael le frère de Paul est emprisonné dans les geôles
de Dublin pour sa participation à la ligue Irlandaise. Il arguera de
sa citoyenneté Américaine et devra la justifier.
L’affaire fait grand bruit puisque qu’un arrêt
du congrès Américain et des interventions au plus haut niveau
seront nécessaires pour que Michael soit relâché. Mais ceci est
une toute autre histoire.
Revenons à Paul Boyton. Cette occultation
systématique de sa prime enfance m’a longtemps laissé
interrogatif. On peut s’étonner de cette volonté farouche qu’il
manifeste à vouloir « évacuer » son origine Irlandaise.
Le problème semble racial et lié à l’intégration des Irlandais
aux USA. Le Pays doit faire face à cette époque à un afflux
considérable d’émigrés Irlandais venus de tous horizons sociaux.
Leur réputation est mauvaise, ils sont bagarreurs, buveurs, têtus
et de surcroît catholiques, leur intégration est difficile dans la
population qui leur est hostile. Ce constat explique simplement
l’attitude de Paul Boyton à vouloir se fondre le plus rapidement
possible au sein de sa nouvelle patrie. Son passage au collège de
Loretto n’est pas étranger au modèle « made in USA »
sur lequel désormais il se calque. Il gardera de son passage à
Loretto un souvenir ému et viendra en juin 1920, en tant que plus
ancien élève, témoigner de son expérience personnelle.
Il naîtra de cette éducation un sentiment
patriotique Américain farouche, qui peut trancher avec les opinions
non moins affirmées, pro-irlandaises, de son frère Michael et qui
pourtant fréquenta le même collège. Paul est très
« chatouilleux » sur tout ce qui pourrait évoquer une
éventuelle origine Irlandaise. Il fustige avec véhémence par
exemple et à plusieurs reprises la presse qui déforme son nom en
Boynton. Il répond avec une fermeté toute aussi grande à un
correspondant qui commet la même erreur en lui précisant que son
nom c’est Boyton, et non pas Boynton. La consonance Irlandaise est
sans doute trop évidente.
En octobre 1874, quand il est accueilli en héros en
Irlande après son exploit (lorsqu’il s’est jeté du paquebot le
« Queen » dans la mer en furie au large des côtes
d’Irlande), c’est avec fierté qu’il a arbore le drapeau
Américain au cours des différentes exhibitions qu’il va donner.
Cette affirmation patriote va se traduire par un incident qui laisse
à penser cependant que toute fibre Irlandaise n’est pas éteinte
en lui. En passant devant le « Guard Ship », Paul Boyton
hisse le drapeau Américain et salue l’officier Britannique qui de
façon discourtoise ou par inadvertance ne répond pas à son salut.
Furieux, Paul Boyton hisse alors le drapeau vert Irlandais sous les
acclamations de la foule.
Fier de sa nationalité Américaine, pour autant,
Paul Boyton n’hésite pas à évoquer des origines Françaises que
malheureusement je n’ai pu retrouver et qui expliquent peut-être
son engagement comme « franc-tireur dans l’armée Française
en 1870 dans le conflit contre la Prusse.
Capitaine Boyton de la « Life-Saving-Service »
une rencontre avec C.S. Merriman.
Après son engagement
comme Franc-Tireur dans l’armée Française en 1870, Paul Boyton
est démobilisé ; quelque peu désoeuvré il décide alors de
tenter sa chance dans les champs diamantifères d’Afrique du Sud.
L’expérience est un fiasco; pourquoi ne pas chercher fortune plus
à l’Est, en Chine ou au Japon ? C’est finalement à
Marseille qu’on le retrouve, blessé gravement à la jambe.
Rétabli, et après
maints péripéties le voilà enfin à Philadelphie en 1873.
Les bains de mer sont à la mode sur la côte Est
des Etats-Unis, Cape-May, Atlantic City et bien d’autres stations
balnéaires attirent de plus en plus de monde. Avec des pointes de
2000 touristes par jour qui arrivent par le train à Atlantic City,
la sécurité des baigneurs fait désormais partie des préoccupations
des responsables de la « Camden and Atlantic Railroad
Company » (« An evening with Captain Boyton » –
The Gentleman’s magazine, June 18, 1875).
Cette même année, il est engagé comme sauveteur
dans la « Life Guards ».
Ses qualités de nageur et sa bravoure lors des
sauvetages attirent l’attention de C.S. Merrriman, président de
cette compagnie, philantrope, millionnaire et inventeur d’une
combinaison de survie qu’il vient de faire breveter. Il propose à
Paul Boyton de tester son invention dans la station balnéaire de
Dearage Atlantic. Durant tout l’hiver 1873, Paul Boyton expérimente
la combinaison de sauvetage dans la rivière Delaware sous les
regards interloqués des Ferry Boats qui aperçoivent « une
sorte d’esquimaux flottant » et qu’ils veulent à tout prix
sauver de la noyade malgré les protestations de Paul Boyton
(« An evening with Captain Boyton » – The Gentleman’s
magazine, June 18, 1875). La combinaison initiale présente de
nombreux défauts qu’il va s’attacher, durant ces deux années, à
gommer. La fameuse combinaison Merriman se transforme peu à peu en
«the Boyton adjustable Life Line ». La presse
aura bien du mal à s’y retrouver lorsqu’il s’agira d’évoquer
la paternité de la combinaison de survie qu’elle finira par
qualifier de « Boyton-Merriman Waterproof air-thight suit »
(Channel Feats, p. 30).
Quand la saison 1874
s’ouvre, Paul Boyton a parfaitement pris la mesure de l’invention.
Le résultat est immédiat. Alors que les noyades annuelles se
situent habituellement autour de de 20 à 30 personnes, en 1874, la
station n’aura pas à déplorer une seule victime. En deux ans, 71
personnes seront ainsi sauvées par Paul Boyton qui est nommé
capitaine de la « Camden and Atlantic Life Guards »
(Irish Times October 26, 1874)
La paternité de cette invention revient pourtant
sans conteste à C.S. Merriman. L’idée de cette combinaison de
survie lui est venue après le naufrage en 1869 du steamer le “Sea
Bird” qui brûla sur le lac Michigan lors de la traversée de
Milwaukee à Chicago avec à son bord 300 personnes qui périrent
lors de cette catastrophe. Le premier constat qu’il dresse alors,
c’est que la grande majorité des victimes ne périssent pas des
causes mêmes de la destruction du navire mais d’hydrocution. D’où
l’idée de préserver les victimes du froid. Pour mettre au point
sa combinaison, Merriman s’est inspiré de la description faite par
Suetones dans la “Vie des Césars”, où Jules utilisait des
peaux de cuirs gonflées d’air pour franchir les rivières:”or
else bearing himself upon blowed leather bottles”(« The
channels feats of captain Webb and Captain Boyton – by Dolphin of
Dramatic and Illustrated News, London, nd. (1875), p. 63 ») .
Les commentaires
narquois de la presse Américaine qui décrit cette invention comme
étant « une nouvelle méthode pour se suicider avec une
combinaison en caoutchouc » (« An evening with Paul
Boyton » p.) l’incite à tester les capacités de cette
combinaison ailleurs, vérifiant ainsi le proverbe « nul
n’est prophète en son pays ». En 1874, la
combinaison est au point. Convaincu de son efficacité, il étudie
alors le meilleur moyen de faire connaître au monde entier cette
invention qui peut sauver des vies humaines. En ce début du mois
d’octobre 1874, il a trouvé. Il rend visite à sa mère et à son
frère qui tiennent un magasin à New York, et sans rien évoquer de
son projet, il embarque le 10 octobre sur le « Queen ».
C’est pour Paul Boyton le début d’une nouvelle aventure qui le
conduira à la célébrité mondiale.
A bord du transatlantique le « Queen » :
Le « Queen » affectué sur la « National
Line » assure la liaison New York–Liverpool. A une distance
de 2 ou 300 miles des côtes américaines, Paul Boyton, monté sans
billet sur le bateau car il voulait retourner à la nage à New York,
se propose de sauter par dessus bord. Le capitaine Bragg, commandant
du Queen, interloqué par ce curieux passager clandestin, reste
parfaitement imperméable aux arguments avancés par Paul Boyton et
refuse tout net de céder à son désir.
Tout à fait sceptique sur les capacités du
plongeur et de sa combinaison, il consigne ce curieux nageur dans une
cabine. Fasciné par ce personnage, le capitaine Bragg va cependant
se laisser convaincre sur la faisabilité du projet de Paul Boyton
(Paul Boyton Story, p.106).
Le mercredi 20 octobre vers 21h30, au large des
côtes Irlandaises, à 2,5 miles du Cap Clear et 5 miles au sud de
Baltimore, le capitaine Bragg fait stopper les machines et sous le
regard éberlué de quelques 200 passagers, il saute par dessus bord
avec l’intention de rallier Baltimore. Il envisage ensuite de
rejoindre Cork afin de télégraphier aux USA pour rendre compte de
son exploit (« Cork Examiner, October 23, 1874 »).
Pour autant la partie n’est pas gagnée, il faut
atteindre la côte alors qu’une extraordinaire tempête se déchaîne
avec des vagues qui le balotent tel un fêtu de paille dans des creux
atteignant parfois 100 pieds. Les falaises de la côte Est de
Baltimore hautes de180 pieds ne lui permettent pas d’accéder à la
terre ferme, il dérive alors pendant 30 miles quand soudain il
aperçoit une baie qui s’avère être Trefaska Bight au Sud-Est de
Baltimore. Paul Boyton a réussi son pari sous le regard appeuré et
incrédule d’un garde-côte qui le voyant débarquer dans son
accoutrement, tel un monstre marin, s’écrie « Grand Dieu,
voici l’ante-Christ ». Il faut dire, qu’avec sa
combinaison noire, sa montre phosphorescente au-dessus du front,
surgissant de l’océan déchaîné, le personnage a de quoi
impressionner. Cette même nuit, 56 navires seront victimes de la
tempête. Grâce au sens des affaire de M. Murphy, directeur de
« Opera Company » (Paul Boyton Story, p.121) qui a
compris qu’avec ce genre d’exploit on pouvait faire de l’argent,
les retombées médiatiques vont être immédiates et considérables.
La presse Irlandaise s’empare du phénomène, la presse Britannique
prend le relais. Son contrat signé, Paul Boyton entame alors des
tournées exhibitions, donnent des conférences pendant lesquelles,
durant plusieurs semaines à travers l’Irlande, il va s’attacher
à démontrer les capacités de sa combinaison de survie en évoquant
dès le 26 octobre 1874 son projet de traverser la Manche (Irish
Times October 26, 1874).
=========================== Il
est intéressant avant de donner un portrait de Paul Boyton de le
situer dans le paysage médiatique de l’époque car
cela donne une idée du regard que l’on porte sur lui.
Paul Boyton, ce nom évoque-t-il quelque chose dans votre
mémoire ? Certes non ! Les plus érudits se
souviendront peut-être qu’en 1875, il a été
le premier homme à traverser la Manche. Mais le constat
n’ira sans doute guère plus loin.
Et pourtant, en cette année 1877, Paul Boyton,
« Capt » comme l’appelle ses amis, est
l’homme le plus célèbre de la planète. Il
n’y a pas un journal, une revue qui n’ait publié ses
exploits ou ses gravures. La mode est à la
« boytonmania », bagues à cigares,
calendriers, prospectus, chansons, jeux de cartes pour enfants,
orchidée à son nom, tout est prétexte à
coller une effigie qui fait vibrer les foules. « Business is
business », Boyton fait vendre. « L’uomo
pesce », l’homme poisson ainsi surnommé par les
Italiens alors qu’il vient de descendre le Pô
jusqu’à l’Adriatique, collectionne les exploits
nautiques. Revêtu de sa célèbre combinaison
« Merriman », en caoutchouc noir, il vient de
traverser par deux fois la Manche, et sa tournée
européenne avec la descente de tous les grands fleuves,
déchaîne la passion des foules enthousiastes. Sa rencontre
avec Jules Verne en 1878, lors de la descente de la Loire, marquera
profondément l’écrivain qui l’année
suivante publiera « Les tribulations d’un Chinois en
Chine », ouvrage dans lequel un chapitre entier sera
consacré aux appareils du Capitaine Boyton. En Italie, la
romancière Ouida (Louise de la Ramée) tombera elle aussi
sous son charme en l’accueillant chez elle. Rien ne lui
résiste, tout semble lui réussir, et il enchaîne
les démonstrations exhibitions. Il ajoute à son
palmarès le détroit de Gibraltar et de Messine. Partout
il est reçu avec les honneurs dus aux grands, les cours
Européennes se l’arrachent pour des exhibitions
particulières. Paul Boyton infatigable, nage et nagera encore
longtemps. Sa devise, qu’il fait graver sur une montre en or
offerte par la reine Victoria : « While I swim I live »
caractérise parfaitement cet homme qui aura très
certainement passé plus de temps dans l’eau que sur terre.
L’Europe a ses limites, il retourne aux USA et s’attaque
aux grands fleuves américains tels le Mississipi, le
Missouri, l’Ohio et bien d’autres encore. C’est alors
l’époque des défis, dont le plus mémorable
sera celui qui l’opposera au capitaine Webb qui un mois
après lui a traversé la Manche à la nage,
mais…sans combinaison. Voilà pour une
présentation liminaire et presque banale qui pourrait
s’arrêter là, mais l’image du
« Capt’ Boyton » serait parfaitement
tronquée pour cet homme qui a tout fait ou presque dans sa vie.
Pêcheur de perles ou de coraux, chasseur de trésor dans le
golfe du Mexique, représentant en pacotille avec son père
chez les Indiens, chercheur de diamant en Afrique du Sud, sauveteur
dans la station balnéaire à la mode de Cape-May dans le
New Jersey, trafiquant d’armes aux côtés des
révolutionnaires Mexicains, Franc-tireur engagé
volontaire au Havre en 1870 pour combattre les Prussiens ou bien
capitaine dans l’armée du Pérou dans une
unité de torpilles où il est chargé de
détruire les navires Chiliens, « archéologue
à la dynamite » en Amérique du sud, promoteur
de parcs d’attractions, ornithologue etc.… la liste serait
longue si elle devait être exhaustive.
Nous
sommes en présence d’une première image qui
contraste avec une autre, celle quel nous livre Paul Boyton dans
l’une de ses lettres [ms5]. Je suis
quelqu’un de simple déclare-t-il en substance et son
regard se fait critique sur la société et sur les
médias : «…I have no love for
society… » « Evidently you formed
that opinion (sur Paul Boyton) from the
newspapers… ». Et pourtant, précurseur
des temps modernes il a compris très tôt tout le parti
qu’il pouvait tirer des médias pour gagner sa vie.
En
1878, Paul, comme il l’affirme, a 30 ans, brun aux yeux bleu il
est d’un tempérament colérique…mais
ça ne dure pas, parfois maladroit et timide. Il aime une vie
calme et tranquille à l’écart de la
société qu’il considère comme artificielle.
Il ne danse pas beaucoup ni ne joue mais adore la musique. A
l’inverse il aime énormément la vie à
l’extérieur pour pratiquer l’équitation la
chasse et le canotage. Il adore les enfants boit
(modérément, préfère la bière au
vin), fume (pipe et cigares). Quant à la nourriture, il se
satisfait d’un ragoût. Catholique, mais non pratiquant par
obligation, il ne joue pas ni ne parie. Il porte un certain
détachement à l’argent ; il pouvait devenir
riche rapidement s’il l’avait voulu en se mariant par
exemple avec cette riche veuve hongroise qui voulait à tout prix
l’épouser mais l’amour lui semble plus important. [ms5].
Il est riche en notoriété mais pas en argent. Il est
très attaché à sa famille et notamment à sa
vieille mère.
Cet homme aux deux
portraits vient de tomber amoureux d’Elise SAUTEYRON et pourtant
ses rencontres avec la gente féminines ne manquent pas, les
baptêmes de son « Baby mine (1) »,
engin flottant dans lequel il stocke son matériel de survie lors
de ses périples nautiques, peuvent en témoigner.
C’est ainsi que tour à tour il sera baptisé Irene
d’Ungeria, Isabel de Toledo (1877), Addie (1879) et enfin Baby
Mine. Pour autant le souvenir de sa petite française reste
constamment présent et le 23 octobre 1882, c’est elle
qu’il demande en mariage à M. SAUTEYRON. La réponse
du père et sans doute les aléas de sa vie
mouvementée l’amèneront à
l’émouvante lettre de rupture du 14 novembre 1884 [Ms16].
C’est
à ce voyage épistolaire intimiste auquel je vous convie
à travers ces lettres qui constituent de merveilleux souvenirs
où le témoignage ethnographique le dispute à
l’amour et à la tragédie.
(1) Initialement,
dès 1874 jusqu’en 1875 il s’agissait d’un sac
étanche; il se transforme en container étanche ayant la
forme d’un petit bateau ; en 1878 P. Boyton est en train de
construire un nouvel esquif cf. [Ms3/3]
SVP, si vous utilisez ces lettres respectez les cotations que j'ai attribuées à ces documents.
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